Faire du digital une opportunité pour l’Humanité
Pour le philosophe Marc Grassin, la technique n’est pas par essence humaniste. C’est donc à leur échelle que les citoyens et les entreprises doivent donner du sens au digital.
Penser ensemble le sens à donner au digital
Maîtriser le sens pour en donner à la technique. Telle est l’ambition des ateliers « Pratiques et Prospectives » organisés par l’Institut Vaugirard-Humanités & Management, fondé et dirigé par le philosophe Marc Grassin. Pour cela, une vingtaine d’opérationnels inter-entreprises et d’universitaires se retrouvent lors de quatre tables rondes toutes les trois semaines, mettant en résonnance sciences sociales et problématiques de terrain. Au programme, une intervention philosophique ou anthropologique d’un expert, puis le témoignage d’un opérationnel, et un débat par l’ensemble du groupe de travail, donnant lieu à un compte-rendu co-écrit avec un comité de rédaction. Ainsi, au printemps 2017, des opérationnels d’EI-Technologies et d’autres entreprises (La Poste, AG2R La Mondiale, l’ESSEC, Médiamétrie, le Groupe BPCE, TDF, Dalkia, Viamedis Santé, Ucar…) et des experts (universitaires, consultants, étudiants, journalistes), se sont réunis pour échanger ensemble du sens à donner au digital. Ces discussions ont donné naissance au Livre Blanc d’EI-Technologies, « Digital & Humanisme, une nouvelle opportunité pour les entreprises », distribué lors de la soirée annuelle du leader de l’implémentation Salesforce en France, à l’Automobile Club de Paris. « À chaque fois, nous produisons un document largement diffusable, à libre disposition des entreprises et des citoyens », explique Marc Grassin.
Repenser les valeurs
Des écrits à la libre disposition du plus grand nombre, puisque nous sommes tous des acteurs du digital. « Le digital impacte le personnel, le professionnel et le sociétal », insiste le philosophe. Un tryptique implacable, dont nous devons tous prendre conscience. Marc Grassin prend pour exemple un acte aussi banal dans la sphère privée que le téléchargement, « qui a des impacts professionnels et sociétaux, puisque cela implique du travail non rémunéré quelque part ailleurs ». À l’heure de ce « tournant du digital », les valeurs – « des préférences », selon le philosophe- sont forcément questionnées. L’instantanéité, la rapidité, deviennent primordiales, avec leurs lots de bénéfices, mais aussi le risque de manquer parfois de recul. Le consommateur, lui, a accès à une masse immense d’informations, et a de fortes exigences de transparence, qui impactent les business models de beaucoup d’entreprises, ainsi que leur manière de communiquer. Le rapport transgénérationnel est lui aussi bousculé dans l’entreprise, puisque l’accès au savoir instantané remet en question le respect de l’expérience des aînés. La notion de solidarité pourrait être mise à mal avec l’apparition de modèles ultra-individualisés, reposant sur la collecte de données personnelles, et où les plus fragiles risquent d’être mis à l’écart, accentuant encore plus la « fracture numérique ». Pour Marc Grassin, « si nous voulons être dans la continuité de l’Humanisme, c’est-à-dire un monde fait par l’Homme et pour l’Homme, nous devons incarner nos valeurs dans la digitalisation du monde contemporain ».
Endosser nos responsabilités et rendre la technique humaniste
Toutes les opportunités rendues possibles avec le digital impactent non seulement l’individu mais aussi le collectif, puisque l’Humanité porte en elle-même la notion de responsabilité. Et étymologiquement, être « responsable », c’est « rendre compte ». Autrement dit, « nous sommes tous porteurs en nous d’une responsabilité de l’utilisation du digital ».
Pour Marc Grassin, les entreprises ont particulièrement un rôle à jouer puisqu’elles sont « les premiers acteurs à mettre le digital au centre ». En tant qu’organisations qui régissent la vie professionnelle et sociétale, « les entreprises doivent contribuer à remettre de la valeur, de la hiérarchie et des priorités pour que chacun puisse faire ses choix de manière consciente ». Afin de ne pas être dans « des processus sans sujet », et de permettre la technique de « participer à l’Humanité de demain », la grande priorité est de « prendre conscience des interconnexions de nos actes numériques », rester « attentifs et vigilants » à l’équilibre de la puissance digitale, au risque de faire de nous des « objets digitaux ». Par exemple, l’éducation à la culture digitale, dans la sphère personnelle ou à l’école, peut former la jeune génération à faire preuve de respect de l’autre sur les réseaux sociaux, lieu « où la parole est habituellement désinhibée ». La question de la liberté est aussi centrale, puisque menacée à l’ère du big data. « Si je suis pris dans une masse d’usage de données, si les algorithmes décident pour nous, comment puis-je garder la main sur ma propre existence ? », s’interroge le philosophe. Malgré tout, Marc Grassin reste optimiste :« La technique n’est pas humaniste par nature, mais le digital, comme toutes les grandes inventions qui l’ont précédé, peut servir l’humanisme s’il est bien utilisé ».